Face à la montée des extrêmes : le féminisme comme rempart.

Un essai radical et intersectionnel contre le fascisme

À postulats identiques, processus fasciste classique. 

Actuellement à l’oeuvre en Europe, le fascime véhicule une méthode fondée sur une rhétorique xénophobe et un imaginaire obsessionnel, celui de la “submersion étrangère”; sous couvert d’assurer la défense de valeurs culturelles prétendument menacées de disparition. Il s’installe dans notre paysage quotidien en proposant des pseudo-solutions, face aux malheurs des gens et à leur sentiment d’injustice, d’insécurité et d’abandon.
L’ancien monde a vécu mais s’accroche à ses fondations dépassées. Le fascisme opère alors un grand détournement nostalgique et solutionniste, désignant toujours l’étranger comme coupable. L’incarnation d’un répulsif archétypal sans cesse recyclé.

Postulat n°1 du fascisme : la supériorité raciale, qui en est le moteur et qui justifie une reconquête idéologique hégémonique, stigmatisante et discriminatoire.

Postulat n°2 : l’exclusion de ceux à qui l’on nie toute reconnaissance d’humanité (considérés comme des sous-hommes) pour légitimer les mauvais traitements qu’on leur inflige : subordination, menace, persécution…

Postulat n°3 : la normalisation de cet élan fracturant, sous le prétexte de préserver une identité idéalisée-figée, contre des ennemis désignés et disqualifiés — envahisseurs nuisibles dont on répète qu’ils ne sont que des « sous-humains » dont il faudrait à tout prix se débarrasser.

Le fascisme est par conséquent un anti-humanisme, qui justifie harcèlement, asservissement et crimes. Masculiniste, belligérant, ethnocentrique et basé sur le culte de la personnalité, il est l’idéologie des « seuls hommes » contre toutes les autres catégories.
Certains hommes sont estimés, notamment ceux qui affichent les qualités valorisées par leur communauté -la force, l’inflexibilité, la conformité à des critères virilistes… Les autres hommes sont déconsidérés, voire niés. Cette forme de négationnisme est inhérente au fascisme. Les Noirs sont traités de singes, les Juifs de rats, les femmes de chiennes ou de sorcières… Pendant que tous les autres sont exclus du statut humain, des critères racistes, colorimétriques ou anthropométriques président à ce réagencement de la valeur humaine.

« Tous les hommes sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres » – Animal Farm de George Orwell

Les derniers événements politiques aux États-Unis — l’élection de Donald Trump pour un deuxième mandat — ou la deuxième dissolution de l’Assemblée nationale en France, suivie du choix d’un gouvernement des plus inquiétants personnalisé par le ministre de l’Intérieur Bruno Retaillau, issu de l’ultra-droite, nous amènent à nous positionner. La petite musique qui aligne nombre de politiques vers le bas (centre droit, PS) comporte en germe des dérives antirépublicaines et clairement fascistes. Tout est dit et assumé, que ce soit aux États-Unis ou en France.

Réaffirmons l’ADN de l’engagement féministe : un anti-fascisme par essence, à vocation internationaliste. De plus, notre féminisme est « humanimaliste », c’est-à-dire qu’il inclut le sort des autres animaux. Nous renouvelons ainsi notre intention de démanteler les schémas de domination et de fracturation sociale basés sur une hiérarchisation spéciste des relations humaines. Les circonstances raniment nos convictions au moment où les consciences semblent flotter dans un brouillard, dépassées par la tournure de l’Histoire.

Ici, nous rallumons la flamme du féminisme radical (racinaire, terre à terre) et révolutionnaire (qui englobe tous.tes les opprimé.es) pour éclairer le plus grand nombre et combattre la tentation du relativisme ou l’éternel argument de démobilisation : « C’est du pareil au même ».
L’Histoire se déroule sous nos yeux. Nous avons encore le choix. « People have the power. »

Éveillées, nous avons le devoir moral de nous insurger contre le fascisme en décortiquant sa mécanique perverse, en dénonçant ses coups d’État et en entretenant l’espoir contre l’apathie actuelle et l’indifférence abstentionniste. Nous voulons sensibiliser, éduquer, remobiliser.

Le sort des Mexicains déportés à la frontière pourrait être le nôtre. Les décrets scélérats qui s’attaquent aux droits des personnes trans nous concernent. Le salut nazi de Musk lors de l’investiture de Donald Trump n’est pas sujet à débat.

Je me raccroche à la seule voix courageusement discordante et amplement féministe qui a osé s’inscrire en faux et défier publiquement le trumpisme en pleine cérémonie religieuse : celle de l’évêque épiscopale de la cathédrale de Washington, Mariann Budde, s’adressant directement au Président des États-Unis pour en appeler au respect de toutes les personnes immigrées, racisées, gays, lesbiennes ou trans. La foi peut donc exprimer une spiritualité transcendant les clivages et réintégrer les droits de tous les êtres humains dans une éthique de dignité. C’est la dignité révolutionnaire d’une chrétienté des origines, rassembleuse d’une communauté de destins qui nous relie les uns aux autres dans la paix et l’amour, quelles que soient nos origines ou nos croyances.

Sans prétendre entrer dans une analyse trop complexe de ce qu’est le fascisme, la définition de base repose bien sur trois piliers qui le situent à l’extrême opposé du féminisme.

La lutte féministe est intersectionnelle. Le féminisme est intégratif des différences et nécessairement multiculturel. De façon cohérente, il agrège les luttes de toutes les minorités, notamment celles du spectre LGBT+. Au carrefour d’autres oppressions cumulatives (appartenance de classe, origine, religion…), il transcende les frontières établies par un système de domination masculin, fractalement répandu. Patriarcal, colonial, prédateur, agressif, violeur, violent et criminel, le masculinisme postule que les différences biologiques justifient des inégalités de genre, en réalité construites socialement. Cela motive des inégalités de traitement entre les personnes, validées par des critères institutionnels. Le genre féminin demeure sous tutelle. Tous les droits reconnus aux uns représentent autant de droits niés aux autres.

Or, l’objet du féminisme consiste précisément à abolir ces dichotomies. Le système de classement des personnes et de reconnaissance de droits variables selon le prisme d’un déséquilibre ne saurait résister à un renversement féministe. Naître femme ou le devenir ne devrait pas empêcher de vivre selon les mêmes conditions d’épanouissement que le genre masculin. De même, naître noir ou blanc, ici ou ailleurs, ne devrait pas entraver la jouissance des droits humains.

Y a-t-il des féministes qui ne seraient pas antifascistes ? La réponse est oui, mais non.

Le groupe identitaire Nemesis ne peut nullement incarner le combat féministe. Il recycle opportunément ce qui semble dans l’air du temps (l’adhésion tardive au mouvement MeToo…), mais en version facho.

Pour Nemesis, il y a les femmes blanches européennes, victimes potentielles de migrants subsahariens musulmans – violeurs, évidemment. Il y a aussi les femmes qui portent la vie et celles qui défendent le droit de recourir à l’IVG, ou encore celles qui portent le voile.

Bref, la partition du monde se fait en défaveur des personnes racisées et des femmes libres. Rappelons que Nemesis a saccagé la tombe de Simone Veil, à l’origine du droit à l’IVG en France. Les relents d’antisémitisme de cet acte démontrent les accointances manifestes de ce groupuscule qui se dit féministe, mais n’est que le bras armé de l’extrême droite xénophobe et pro-life, raciste et LGBT-phobe.

L’extrême droite (ED) reconditionne opportunément nos luttes pour mieux les dévoyer. Féminisme, écologie… tout est bon à récupérer pour une ED qui fait feu de tout bois. Virulente et contagieuse, elle s’appuie principalement sur les médias mainstream qui lui servent de caisse de résonance. Les collusions entre hommes puissants acquis à la cause permettent d’accélérer la propagation de la rhétorique fascisante.

Les composantes du fascisme

L’autoritarisme réactionnaire, le nationalisme revanchard et le totalitarisme viriliste en sont les catalyseurs. Par un contrôle coercitif de tous les aspects de la vie, le fascisme noyaute et carotte les esprits. Il prospère sur le terreau fertile d’une société endommagée, déshéritée de ses prérogatives, socio-économiquement affaiblie et dont les valeurs structurantes (démocratie, humanisme solidaire, éducation, santé, intégration) sont en berne.
Une société dégradée est beaucoup plus perméable aux sirènes de l’ED. Les partis traditionnels ont tellement échoué au pouvoir — à force de détournements de fonds et d’incapacité à gouverner pour l’intérêt général — que l’ED finit par s’imposer comme une alternative populiste désirable.

Le fascisme peut alors proliférer, semblant répondre à un climat social de défiance politique, de déficit de politiques publiques, de perte de conscience éthique et de manque de direction.

Fondé sur une hiérarchisation des races, il détourne la réalité (difficultés socio-économiques, inégalités) au profit de mythes haineux : grand remplacement, appel d’air des aides, populations « islamo-natalistes »… Il puise dans le racialisme viscéral issu de la colonisation. Un Blanc vaudrait cinq Noirs, ou toute autre équivalence suprémaciste. On est loin du principe républicain « un citoyen = une voix ». On essentialise la couleur de peau ou l’appartenance ethnique, religieuse ou politique. On frôle l’animalisation de tout ce qui ne rentre pas dans le moule cognitivement balisé du « oui chef ».

Ainsi, les personnes trans sont-elles déboutées de leur humanité au profit d’une psychiatrisation de leur mal-être — mal-être légitime dans une société hétéronormée qui les montre du doigt, les rendant monstrueuses, comme une anomalie à corriger. Toute personne écologiste ou de gauche sera également maltraitée par les militants fascistes parce que jugée dissidente, susceptible d’argumenter contre l’erreur-système en cours.

Le fascisme est une anti-démocratie. Tout opposant est une cible à abattre. L’ED est intrinsèquement menaçante, intimidante et ultra-violente. Rien ne fédère plus que la peur, l’ignorance, le mépris de l’autre (animalisation en écho) et la construction d’un récit en tous points faux, mais terriblement galvanisant, qui restaurerait une fierté perdue via l’invention d’un mythe des origines. Il se veut réconciliateur d’un entre-soi blanc contre des « intrus » qu’il faudrait écraser.

« Tu veux tuer ton chien ? Affirme partout qu’il a la rage. Quelqu’un s’en chargera bien. »

Le savoir-faire du fascisme repose sur de fausses accusations, une suspicion généralisée et une rationalité refaçonnée pour soutenir une doctrine forgée autour d’un fantasme collectif de guerre imminente et d’irréconciliabilité entre des différences secondaires. Dans le film La vie est belle, Roberto Benigni explique ainsi à son fils pourquoi, sur la devanture d’une boutique, est inscrit « Mort aux Juifs ». Scène magistrale qui explicite l’absurdité haineuse : « Certains ont peur des araignées, alors ils décident de toutes les tuer, voilà. »

Le jeu des divisions, des uns contre les autres, rend tout vivre-ensemble inenvisageable, avec le spectre d’une dilution de la race ou de la « blanchité ». Le fameux choc des civilisations a bien infusé. Les ratonnades reprennent. C’est déjà le cas à Lyon, capitale des fascistes, où se multiplient des expéditions punitives jamais sanctionnées par la justice. Là encore, la complicité des pouvoirs publics pose question dans un État de droit.

Le capitalisme est soluble dans le fascisme, fascito-compatible, et techno-déroulant. Il utilise la violence institutionnelle subie par des populations déclassées (ouvriers, agriculteurs, jeunes, policiers, femmes blanches au chômage, Gilets jaunes…) pour attiser la haine envers ceux que l’on décide, arbitrairement, de tenir pour responsables des déséquilibres sociaux. Bouc émissaire classique : l’étranger (musulmans, non-Européens, migrants…). Par capillarité, ce récit imprègne le champ social. Tel un levier de persuasion massive, il permet d’occuper l’espace politico-médiatique façon « fenêtre d’Overton1 » : le fascisme avance à peine masqué, par infiltration.

Les médias, ébranlés par les percées du grand capital spéculatif, se laissent acheter, baissent la garde et n’offrent plus de contre-pouvoir. Seuls quelques médias indépendants et des journalistes intègres continuent de dénoncer un capitalisme qui annihile tout rempart contre l’ED. À la solde des possédants, corrompus ou vendus, certains médias relaient un racisme décomplexé. Les chaînes de TV, les radios, les réseaux sociaux deviennent la vitrine de l’ED, surtout lorsque, hors de tout contrôle, on n’impose plus la moindre modération ou vérification des faits (fact-checking).

Ainsi, le techno-fascisme se déploie sous nos yeux, sans grande résistance, nous sidérant. L’Américain moyen, comme l’Européen moyen, adhère aisément au stratagème consumériste et à la doctrine explicative des torts et regrets : on aurait accueilli trop d’étrangers, on serait lésé, avec des salaires en baisse, etc. Désireux de voir son quotidien changer, le quidam allemand ou français est prêt à voter pour un régime autoritaire, plutôt que de remettre en question la redistribution des richesses ou l’appauvrissement des services publics. Les partis au pouvoir sont sanctionnés dans les urnes au profit de l’ED, qui promet la sécurité des uns aux dépens des autres.

Cloisonnement des esprits, fermeture des frontières. Même lorsque les données chiffrées contredisent ce sentiment nauséabond d’un rejet en bloc des populations étrangères, le concept de « remigration » n’a plus qu’à s’appliquer. On se prépare à l’apartheid, au cœur de populations divisées.

Ce monde complexe, qui change très vite, est peu rassurant. Il charrie une misère sociale et un déclin de la santé mentale. Le fascisme agit alors comme un squatteur qui s’installe dans les zones grises de la psyché humaine, se présentant comme un recours salutaire pour des esprits fragilisés, manipulés ou peu éduqués, en quête d’explications simplistes.

Pendant ce temps, de richissimes hommes d’affaires accroissent leur fortune et monopolisent des secteurs-clés de l’activité économique, étouffant la diversité et endiguant les divergences idéologiques. Les puissants soutiennent l’ED, car elle sert leurs intérêts. Cette concentration des pouvoirs est antidémocratique, tout comme le fascisme qui s’en nourrit.

Le fascisme dissémine un discours de haine que le manque de culture partagée empêche souvent d’exposer. Il instaure un « ordre fictif » dans un désordre savamment orchestré et aliénant. La ségrégation devient un mode d’ordonnancement, au service d’une minorité. Ses mensonges contaminent l’opinion publique, submergée, qui s’en fait l’écho sans plus se soucier de vérités ni de faits. Le besoin de réponse face aux crises successives se fait sentir au sein d’une population biberonnée à la consommation de masse, qui n’accepte pas de perdre ses privilèges.

La peste brune gagne ainsi tous les terrains (économique, technologique, sociopolitique) par la captation des corps et des ressources, via l’uniformisation des esprits. L’état des croyances se focalise sur l’exclusion de l’étranger, tenu pour la cause 1ère de tous les maux, dissimulant les biais cognitifs qui sponsorisent un système de surveillance, de mensonge et de contrainte.

Cette anti-liberté, décidée d’en haut et sans garde-fous, se retrouve en roue libre, concentrée entre les mains d’une oligarchie dictatoriale. C’est démocratiquement que des hommes « forts » et parfois fous sont intronisés, sans autre compétence que celle de détourner les clés du pouvoir. Et c’est avec la même ardeur opportuniste que les principes démocratiques sont rapidement bafoués.

Le féminisme vise une déconstruction de l’ancien modèle, la libération des corps et des esprits pour réaliser un projet de société reposant sur l’égalité entre femmes et hommes, tant dans leur droit à l’autodétermination que dans leurs relations réciproques. Le féminisme est donc un anti-fascisme en soi. Révolutionnaire, il renverse les valeurs du fascisme en prônant l’empathie, la compassion, la vulnérabilité comme indice d’intelligence sensible, l’inclusion de tous.tes, la puissance de l’esprit collectif, la paix et l’amour entre les peuples. Le féminisme radical embrasse toutes les luttes pour la liberté (peuples autochtones, Noirs, personnes trans…). Il s’agit d’un altruisme qui cible l’égalité et s’appuie sur des connivences pacifiques, des soutiens responsables, des coalitions solidaires. Ressource contre le fascisme, il prône l’éducation à la diversité et la remédiation sociale, pour transformer les mentalités et nos rapports au monde en des écosystèmes interdépendants et solidaires.

Quand les droits des uns sont attaqués, tous les droits sont menacés. Le corps social est malade. À nous de lui apporter les soins nécessaires pour qu’il retrouve lucidité et capacité de résistance. Face aux attaques qu’il subit, nous défendons l’action. L’union fait la force.


1La fenêtre d’Overton, aussi connue comme la fenêtre de discours, est une allégorie qui désigne l’ensemble des idées, opinions ou pratiques considérées comme plus ou moins acceptables par l’opinion publique d’une société donnée